Bart De Smet est CEO du groupe d’assurance coté en Bourse Ageas et président de la fédération sectorielle Assuralia. Dans un entretien accordé à L’Echo (18/2013), il tire les leçons de cinq années de crise financière. Il est ainsi d’avis qu’il faut démythifier le rôle traditionnel du CEO et qu’il est plus important que jamais pour les dirigeants de poser des choix stratégiques à long terme.

En finir avec le culte de la personnalité

« Faites tomber le CEO de son piédestal! Aujourd’hui encore, les CEO sont souvent perçus comme l’incarnation de leur entreprise. Dans une culture de management centralisante, cette approche engendre une vénération du CEO, avec toutes les conséquences qui en découlent. Mais attention, danger ! Le culte de la personnalité présente, en effet, le risque de mener l’entreprise droit dans le mur lorsque son dirigeant n’est pas aussi visionnaire qu’on l’avait espéré", met en garde Bart De Smet dans L’Echo.

« Bien sûr, le CEO doit être la carte de visite de l’entreprise. Cela n’empêche cependant pas de la structurer ‘démocratiquement’, en investissant les collaborateurs non seulement de la possibilité, mais même du devoir de corriger les éventuels errements du management. Et si le CEO s’en trouve démythifié, tant pis. Car il ne peut prendre de bonnes décisions que s’il est bien entouré et bien informé »

Assumer ses responsabilités

« Gérez les salaires de manière responsable. Il n’est pas bon de multiplier les incitants à la réalisation de certains objectifs commerciaux. À l’inverse, un trop haut degré d’immixtion publique n’est pas sain non plus. Prenons comme exemple la proposition de juguler les bonus en les attribuant sous la forme d’un pourcentage du salaire de base. Cette mesure aurait pour effet immédiat de voir exploser ces rémunérations de base. »

« Le problème n’est pas une question d’autorégulation, mais d’éthique et de responsabilité d’entreprise. C’est la seule manière de créer de la valeur à long terme. De trimestre en trimestre, mais toujours dans l’optique de l’avenir de l’entreprise. Pour y parvenir, les entreprises doivent se secouer, s’asseoir autour de la table et s’imposer des limites. C’est la seule manière de prévenir de nouveaux déboires. Faute de telles avancées volontaristes, nous devrons nous habituer à l’ingérence des pouvoirs publics. »

Garder le contact avec la base

« Ne perdez jamais le contact avec la base. Surtout, ne perdez jamais le contact ni avec le collaborateur, qui concrétise les projets de votre entreprise, ni avec le client, qui est votre raison d’être, ni avec vos partenaires de distribution, qui sont vos vecteurs vers le marché. Restez aussi en phase avec vos actionnaires, qu’ils possèdent une participation de 4% ou quelques centaines d’actions seulement. »

« Souvent, ces contacts – et l’exercice de réflexion que vous menez dans la foulée – sont infiniment plus instructifs que les conseils de consultants stratégiques extérieurs. Ce conseil va-t-il à l’encontre de toute ambition? Pas du tout. Il n’est écrit nulle part qu’un CEO ou un manager d’une grande entreprise ne peut entretenir de contacts étroits avec ses parties prenantes. C’est avant tout une question de priorités et de philosophie : travailler en équipe. En tant que haut manager, vous devez cesser, de temps en temps, de prendre l’avis des personnes qui ont les mêmes opinions que vous, pour vous mettre à l’écoute de la réalité du terrain. »

Qui trop embrasse, mal étreint

« C’est un premier adage auquel on pourrait ajouter : ‘Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel’. Lorsqu’un ensemble devient trop vaste et trop complexe, il est inévitable que le management en perde le contrôle. En tant que responsable d’un tel ensemble, vous devenez très dépendant d’autrui. Vous avez alors le choix entre deux options : soit vous instaurez un rigoureux appareil de contrôle – en mettant la flexibilité et la créativité sous l’éteignoir –, soit vous lâchez la bride à vos innombrables activités et divisions – en courant le risque de les voir se transformer en électrons libres. Il est de loin préférable de conserver une vue d’ensemble, et de se concentrer sur des activités clairement délimitées. »

Affirmer sa différence

« Tout aussi essentiel : respecter la stratégie qui vous est propre, et ce dans le long terme. Tenez-vous à vos options et choix fondamentaux. Restez bien sûr attentif aux nouvelles opportunités et menaces, mais ne tirez pas sur tout ce qui bouge. Qui trop embrasse, mal étreint. Si de nombreuses entreprises belges ont percé au niveau international, c’est précisément parce qu’elles ont osé être différentes, se distinguer de la masse plutôt que de la singer. »

« Dans un secteur, combien de fois n’observe-t-on pas le même phénomène, à savoir tout le monde qui fait la même chose en même temps ? Or, quand on est nombreux à emprunter le même sentier battu, nombreux sont ceux qui finissent dans le bas-côté. Osez être différent. La clé du succès, c’est de vous en tenir à vos choix stratégiques initiaux. »

Rester positif

« Restez positif. Envers et contre tout. Je me refuse à accepter que, parce que nous sommes un groupe belge, nous soyons condamnés à rester petits. Au contraire, appuyons-nous sur notre réputation de multilinguisme, de flexibilité et du sens du compromis. Nous, Belges, ne souffrons d’aucun complexe de supériorité – au contraire, nous devrions même parfois être plus conscients de nos qualités – et nous sommes très bien perçus et acceptés sur les cinq continents. »

« De mon point de vue, nous devons voir ce cinquième anniversaire de la crise financière comme un tournant. Comme le moment, non plus de regarder vers le passé, mais vers l’avenir. Cet avenir nous propose de multiples défis d’envergure. Or c’est précisément en relevant ces défis que nous pourrons montrer notre savoir-faire et notre professionnalisme, tant comme entreprise que pour l’ensemble du secteur financier. Aujourd’hui, je vous propose donc d’aller de l’avant et de reculer les limites, plutôt que de sombrer dans le négativisme ou de penser que nous sommes arrivés. Notre survie, et notre avenir, en dépendent. »